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Les étapes de réalisation d'une copie. D'Après Nighthawks par Edward Hopper (1942)

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Dernière mise à jour : il y a 5 jours




Nighthawks d'Edward Hopper 1942
Nighthawks, par Edward Hopper, 1942, Art Institute of Chicago

Copie de l’oeuvre de Edward Hopper (1882-1967)



Oeuvre originale


Nighthawks

1942

Technique : Huile sur toile

Oeuvre signée : signed l.r. "Edward Hopper »

Dimensions : 84.1 × 152.4 cm (33 1/8 × 60 in.)

Musée : Art Institute of Chicago

N° Inv. : 1942.51



Fiche technique du musée et histoire de l’oeuvre : https://www.artic.edu/artworks/111628/nighthawks



Copie


Phi-Artiste-Peintre d’après Nighthawks d'Edward Hopper,

Technique : Huile sur toile

Dimensions proposées : la moitié des dimensions originelles, soit,

42,05 x 76,2 cm

Support : Châssis entoilé, avec encollage à la colle de peau, enduction, couche préparatoire et couches colorées.

Signature : au revers.



 



Les étapes de la réalisation







 

Les Etapes de la réalisation


D'Après Nighthawks par Edward Hopper :


  1. L'enduction de la toile


Pour faire cette copie de l’artiste, j’ai choisi une enduction légère, à 6 couches : pourquoi ? Parce que la toile de Hopper en vue détaillée laisse apparaître clairement les fibres de la toile et des traces de blanc/jaune ou de vert pâle en sous couche. L’enduction de sa toile était donc très légère, et dans le cas de Nighthawks, réalisée par ses soins, toutefois la plupart du temps il achetait la toile toute faite chez un marchand de couleurs (Cf. Documentation plus bas sur l’enduction et les matériaux). Il est probable également que la composition de l’enduction était faite d’un apprêt synthétique.


Le choix de l’enduction que j’ai fait est nécessaire si l’on souhaite travailler sur une surface lisse et tirer le meilleur parti des pigments et de la technique de l’huile, des effets de profondeur et de transparence. Toutes les étapes réalisées au-dessus sont héritées du savoir des peintres à l’huile européens de l’époque moderne (XVIe-XIXe), savoir qu’il devait connaître lui aussi, étant venu en France étudier les Impressionnistes. Toutefois à cette époque, beaucoup d’artistes avaient la volonté de s’affranchir des savoir-faire anciens.`



S’il s’était agi d’une « reconstruction », et non d’une « copie » (qui est l’apparence de la toile et non la toile en profondeur), il aurait fallu voir l’oeuvre sur place, le montage du châssis, retrouver le savoir-faire employé par Hopper, identifier les couches de préparation colorées synthétiques utilisées dans les écoles d’art américaines de cette époque et dans son atelier, connaître la nature de la toile (chanvre, lin, etc.) et avoir accès aux analyses physico chimiques et microscopiques pour identifier les liants et les pigments.



  1. Le choix de la sous-couche colorée


L’enduction, une fois faite, attend  la première couche d’huile colorée (imprimatura) composée d’un pigment et d’un liant à base d’huile et d’essence. Il semble avoir travaillé sur une sous-couche claire, blanc-jaune ou blanc-vert pâle, que l’on distingue sous des traits de pinceaux rapides.



Enduction d'une toile par Phi-Artiste-Peintre
Enduction, sous-couche vert-jaune pâle par Phi-Artiste-Peintre


Le détail des vitres du restaurant montre qu’il jouait parfois des effets de transparence, et de superposition de l’huile.  On devine le jaune-vert kaki sous la couche de bleu, dans tous les cas une couleur plus claire et il n’est pas exclu qu’il ait associé plusieurs couleurs de sous-couches en fonction des emplacements, car le rôle de la couleur dans "l’imprimature" est de permettre des effets de profondeur ou de transparence avec les couleurs qui sont ajoutées au-dessus, le plus souvent en glacis (bien qu’il ne s’agisse pas de la technique employée ici par le peintre, qui procède par gestes rapides et limite les effets de transparence, préférant les aplats). Ainsi, une sous couche ocre-rouge est utile si l’on doit peindre les carnations des visages, superposer des touches de rose et de blanc ; une sous couche grise si l’on veut peindre une étendue d’herbe verte.


Pour obtenir les effets voulus avec sa palette de couleurs froides, j’ai choisi d’appliquer une sous couche jaune-vert pâle (composée de blanc de titane, de jaune de Naples et de vert), qu’on distingue aussi sur le cliché ci-dessous.


La sous-couche après séchage (3 jours) peut recevoir le dessin préparatoire.  Il est totalement exclu de faire le tableau sans dessin préparatoire, compte tenu du sujet : la construction d’une rue en perspective. Hopper est le peintre des lignes de fuite et des effets d’ombres et de lumière. Sa construction de la composition est extrêmement méticuleuse. En regardant simplement le tableau, le spectateur mesure intuitivement l’importance des lignes et de l’enchaînement des espaces : le café, les immeubles de la rue avec leurs fenêtres, la devanture en bois avec ses panneaux chanfreinés, les trottoirs,  les zones d’arrière plan derrière les vitrines, etc.


Paradoxalement, l’attention du peintre n’est pas tellement focalisée sur le travail de peinture à l’huile qui est fait à la surface de la toile, sur lequel je reviendrai plus bas, mais plutôt sur la mise en place du dessin préparatoire, que l’on ne voit pas.



  1. Les sources manuscrites et documents qui renseignent le travail d'Edward Hopper


La bibliographie très riche sur le peintre précise qu’il peignait deux toiles par an en deuxième partie de carrière. Il est certain que le travail de construction des compositions à partir de photos et de dessins devait être assez long.


De nombreux documents, livres de comptes (en tout quatre registres), peintures, esquisses réalisées a posteriori par Hopper - pour garder une trace dans ses archives - sont conservés au Whitney Muséum of American Art (https://whitney.org/collection/works?q[search_cont]=hopper).  En tout, 2500 oeuvres de l’artiste (D. Lyons / B. O’Doherty, 2012). Sur le site du musée, on peut lire :  « Après avoir réalisé une peinture ou une autre œuvre destinée à la vente, comme une aquarelle ou une gravure, Edward Hopper en faisait une petite esquisse pour ses archives, documentant ses compositions dans des configurations rendues avec précision par des traits audacieux et des hachures complexes. Ces esquisses, qui étaient conservées dans des livres de comptes ordinaires du magasin Woolworth's five-and-dime, sont la chronique de toute une vie de travail. L'épouse de Hopper, Josephine (Jo) Nivison Hopper, a ajouté des descriptions vivantes de chaque œuvre, imaginant souvent des détails anecdotiques dont Hopper - un homme peu loquace - n'a jamais parlé lui-même. Les registres documentent l'aspect commercial de la pratique créative de Hopper, Jo Hopper consignant la date d'achèvement, la description, le prix de vente et l'acheteur de chaque œuvre. Ils contiennent également des listes d'œuvres exposées, des références à des articles et à des critiques, ainsi que des détails sur les voyages et les prix, ce qui en fait une ressource inestimable pour les historiens de l'art et les chercheurs ».



  1. Les dessins laissés par Hopper


Les dessins sont surtout des portraits et des nus de l’artiste. Une peinture de 1930  « Early Sunday Morning » (89.4 × 153 cm) montre la rue commerçante représentée dans Nighthawks, selon Hopper "almost a literal translation of Seventh Avenue », de New York .

  

Egalement le dernier dessin fait par Hopper vers 1941-1942, à la craie et au fusain (20.6 × 35.9 cm). Un détail est important : le site du musée précise qu’« Il se peut même qu'il l'ait fait après avoir commencé la peinture», conformément à ses habitudes. Ce dessin au fusain estompé est très beau. Tous les éléments issus de la peinture sont en place, avec un ajout cependant : une inscription sur la vitrine, sans doute une reprise de « Phillies » au dessus;


Enfin, plusieurs « études préparatoires » / « study for Nighthawks », non commentées par le Musée, sont dans les collections, dont deux dessins montrant la composition d’ensemble. D. Lyons explique qu’Hopper « recréait ses peintures achevées par le biais de dessins plus beaux, plus grands et plus précis » (Les essais sur l’artiste, dont certains remontent aux années 1990, issus des recherches de D. Lyons et O’Doherty, sont traduits en français et publiés dans l’ouvrage Edward Hopper, de l’oeuvre au croquis, Ed. Prisma, Paris, 2022).


Malgré l’existence des reproductions et de la photographie, il s’évertuait à reproduire scrupuleusement ses peintures, d’abord sous forme d’esquisse au crayon, complétée ensuite à la plume et à l’encre, en utilisant parfois la technique du quadrillage ; à noter également que beaucoup de croquis étaient réalisés au crayon Conté et au fusain. (D. Lyons, 2012). Il faut rappeler qu’Hopper était graveur et illustrateur, d’où son intérêt marqué pour le dessin.


Selon O’Doherty, chez Hopper l’idée devenait peinture dans un premier temps, puis, avec les dessins faits a posteriori pour ses livres de comptes, l’oeuvre peinte retournait au statut d’idée originelle (le dessin). A noter qu’Hopper lui-même lors d’une fameuse interview, aurait évoqué la transposition sur la toile, « l’exécution », comme le « déclin de l’idée ».  Revenir au dessin lui permettait sans doute de dépasser la restitution à l’huile, de revenir à l’essence de ses créations. B. O’Doherty apporte quelques précisions : il ajoute que les dessins postérieurs aux peintures ont une parenté avec les dessins plus grands et plus détaillés que l’artiste exécutait pour ses tableaux, qui ne semblent pas avoir été conservés (à vérifier pour d’autres oeuvres) : « les dessins semblent se multiplier et se dissoudre au coeur des peintures dont ils forment l’étonnante projection ».


Il est important d’observer attentivement les croquis non commentés du musée et de constater plusieurs choses : il n’y pas de quadrillage visible à l’arrière plan ; en revanche il y a bien des traits faits à la règle, certains à moitié effacés (également remarqué par D. Lyons), les autres dissimulés sous le fusain qui vient uniformiser le dessin. Comme si l’artiste avait voulu effacer le travail laborieux de construction de la perspective (le travail de l’architecte, du graveur, de l’illustrateur) pour ne laisser transparaître que l’empreinte du peintre et de l’imaginaire idéalisé qui l’accompagne : l’artiste dans l’atelier, réalisant ses croquis d’un geste enlevé et passionné. Presque au détriment du savoir faire, invisibilisé. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela : le contexte artistique, le rapport à la tradition, le rapport à sa propre image comme artiste, etc. Sans doute est-ce là son grand talent : donner l’impression au spectateur de la facilité, de la désinvolture (la « sprezzatura » de la Renaissance).


5. La conception du dessin préparatoire


Partant de cette bibliographie, mon interrogation s’est portée sur la conception du dessin préparatoire de la toile, puisqu’il semble avéré que les esquisses soient postérieures à la réalisation du tableau.


En agrandissant au maximum les clichés du Musée de Chicago, il semble bien y avoir une mise au carreau, assez « serrée » en toile de fond, qui parfois apparaît dans les zones périphériques. L’emploi de « quadrillages » est évoqué par O’Doherty/Lyons. L’expérience est la même que celle qui consiste à fixer un labyrinthe visuel pour tenter d’y retrouver les chiffres ou symboles cachés. A force de regarder l’arrière-plan, la trame du quadrillage finit par apparaître. On ne peut pas exclure qu’il s’agisse d’un effet d’optique, mais il est peu probable qu’il ait jeté ses lignes au hasard sur le tableau. Il y a bien un dessin sous-jacent, surtout sur un grand format comme celui qu’il avait choisi (84 x 152 cm). Seule une analyse au microscope ou aux  rayons X permettrait de le voir.


Qu’il y ait quelques traits de règle sous la surface, ou une construction en perspective sur quadrillage, très élaborée, force est de constater que le traitement de surface de l’huile n’était pas au coeur des préoccupations du peintre, comme il l’aurait été aux époques antérieures.


Il suffit là encore d’agrandir un peu les images pour s’en rendre compte (une toile plus petite de Michel-Ange agrandie 10 fois ne donne pas le même résultat) : l’application des couleurs est rapide ; sur certains traits, là où la matière est la plus dense et la plus colorée (les traits verts par exemple) la peinture ne couvre pas la largeur du trait, formant des « bavures » ; on note des zones interstitielles non peintes sur la couche de fond, des grattages également, des transparences, des touches rapides.


Du point de vue du peintre, il est très difficile de faire de longs traits réguliers au pinceau à « main levée », pour ne pas dire impossible… On peut imaginer les solutions employées par l’artiste : le pinceau plat imbibé longeant une règle ou un bâton d’appui ; ou bien le pochoir sur des zones précises.


Ci-contre, un détail qui montre des traits rapides faits par Hopper à main levée sur les boiseries. L’emploi du pinceau était plus facile et naturel sur les figures humaines.


Pour conclure sur la documentation et le travail préparatoire, l’oeuvre « Nighthawks » observée attentivement semble traduire assez clairement la passion de Hopper pour l’art du dessin : la construction de l’espace, l’agencement des lignes, leur superposition, des ombres et des lumières, l’ambiance urbaine et la place de l’individu dans cette architecture vide. La technique de l’huile et des effets qu’elle peut produire, dans cette peinture tout du moins, semblent passer au second plan, même s’il faut relever les tonalités de la palette de couleurs qui jouent pour beaucoup dans la caractérisation et l’originalité de son oeuvre .


Quelques remarques sur la technique montrent que la couleur parfois passait au second plan : Hopper, à propos de Seven A.M. « toile pleine d’éclat ne provenant pas de la couleur » et, venant conforter ce qui a été dit plus haut, cette fois à propos de Conférence at Night, « la couleur (!) n’est pas la préoccupation principale ».


  1. La mise au carreau de la copie


Pour ne pas faire d’erreur de proportions, j’ai choisi de faire une mise au carreau (2 cm x 2 cm) sur photocopie et de tracer les lignes importantes.


Ensuite de l’agrandir au format du châssis (x 2,6), ce qui donne sur le châssis des carrés d’un peu plus de 5 cm. Le quadrillage a été reporté au crayon de bois sur la sous-couche, et j’ai pu commencer à tracer les lignes à la règle et à dessiner les figures et les accessoires. La pose de la peinture fera disparaître ces points de repère.. elle s’annonce assez difficile (texture de la peinture, choix du pinceau, lignes régulières ou irrégulières, etc.). J’ai parfois inséré des flèches qui m’indiquent que je devrai baisser le trait au moment de peindre.



Mise au carreau de Nighthawks de Hopper par Phi-Artiste-Peintre
Mise au carreau et dessin sur la sous-couche verte


Pour peindre la copie, je me suis servie de la reproduction du Musée de Chicago, en haute résolution. Beaucoup de reproductions de l’oeuvre existent, dont les tonalités sont très différentes. Les photographies du musée normalement respectent la colorimétrie du tableau.



  1. La peinture : l’application des couleurs


Concernant les matériaux, Hopper prenait le temps de consigner des indications sur les pigments et les liants, dans ses « journaux / livres de comptes. Les blancs sont systématiquement mentionnés dans les titres : le blanc de zinc, préparé à l’huile de pavot, et le blanc de Titane, à l’huile de lin. A noter l’emploi récurrent du blanc de plomb (depuis longtemps reconnu toxique), et de blanc de plomb argenté Blockx, particulièrement apprécié par le peintre à partir des années 40 - dans les oeuvres Five A.M (1940), Ground Swell (1939), etc.



« Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les fabricants de blanc de plomb, le milieu hygiéniste et la normalisation technique imposée par les pouvoirs publics contribuent à la banalisation et donc à l’invisibilisation de la dangerosité du pigment toxique. L’empoisonnement des ouvriers exposés illégalement à la céruse dans les travaux publics ou de façon licite dans le secteur privé est accepté tant au niveau social que politique. La consommation du « blanc poison » en France atteint 25 000 tonnes par an au début du XXe siècle »  (à lire dans  Judith  Rainhorn, Blanc de plomb. Histoire d’un poison légal, Presses de Sciences Po, 2019, 372 p.



Sans que la tonalité des couleurs verte et rouge ne soit précisée : « oxyde de chrome et cadmiums » sont mentionnés, ainsi que le bleu céruléen. Les liants sont l’huile de pavot (« huile de pavot W&N), l’huile de lin (« huile de lin Favor-Ruhl), et plus rarement l’huile de térébenthine.


Hopper s’approvisionnait en peintures à l’huile d’origine européenne : les ‘Colors R.’ évoquent la maison Rembrandt, aujourd’hui associée à Sennelier, mais par le passé à l’entreprise néerlandaise Royal Talens (1899) qui a ouvert un bureau commercial aux US en 1920 (https://www.royaltalens.com/fr/pages/histoire) et favorisé la vente de pigments pour l’aquarelle, et de pastels. L’autre marque mentionnée par Hopper est la marque anglaise Winsor & Newton (https://www.winsornewton.com/pages/about-us), manufacture créée au 38 Rathbone Place, à Londres, en 1832, sous le patronage de la Reine Victoria, que l’on se procure aujourd’hui facilement, comme les tubes Rembrandt (sur le site du Géant des Beaux Arts). Et enfin, l’insigne marque belge fondée par Jacques Blockx en 1865, réputée pour ses pigments bleus. La question est de savoir si Hopper percevait les nuances des pigments, de leur effet, de leur maintien dans le temps, d’une fabrique à l’autre..


Parfois, Hopper indique la provenance de la toile : « toile belge », « toile belge souple », « toile Winton » qu’il faudrait renseigner (également manufacture d’huile, liée à Windsor & Newton) ; la « toile Foinet » issue de la manufacture parisienne de Foinet Paul & fils, et Lefebvre, marchands de toiles à Paris entre 1897 et 1904 et fournisseurs des impressionnistes ; la « toile de lin irlandais », « toile Grumbacher pour artistes », « toile de lin épaisse Blockx » ; l’évocation d’un « double apprêt » (l’enduction) apparaît souvent associée à la « toile belge souple » avant 1940,  sans doute un produit manufacturé de chez Blockx, ou au « double apprêt préparé chez Foinet ». A noter que Summertime de Hopper (1943) a été réalisée sur une « toile de lin irlandais « l’apprêt fait aux E.U », et High Noor (1949) « avec un double apprêt Windsor et Newton (National) » .

A partir des années 1940-45, il semble privilégier les pigments Winsor & Newton et Blockx, ainsi que la toile belge « souple » avec enduction. Toutefois, Nighthawks, « achevée le 21 Janvier 1942 », présente des exceptions : elle a été réalisée sur une toile de lin anglais, recouverte d’un apprêt « maison » / « domestic priming », avec des couleurs Winsor & Newton et Blockx, du blanc de zinc de W&N, mélangées à l’huile de pavot. Le comptoir est décrit  « rouge cerise », et la bande de carreaux « vert jade vif, aux trois quarts de la composition ».


Pour l’application de la couleur, j’ai utilisé une gamme de tubes empruntés aux marques Winsor & Newton, Rembrandt et Blockx (les pigments Noir de fumée, Blanc de Titane, Terre d’ombre, Terre de sienne, Brun Van Dyck, etc).  Le vert de vessie (extrait des baies de Nerprun depuis le 18e s.) et le vert émeraude ont été particulièrement utile pour trouver la tonalité de cette palette, ainsi que le bleu de Prusse qui est omniprésent. Le violet de Mars (Caput Mortuum) a été parfait pour le bandeau publicitaire au-dessus de la corniche.



Nuancier de couleurs pour peindre la copie de Nighthawks


La première couche de couleur appliquée n’est jamais très satisfaisante: après quelques heures, elle est plus ou moins absorbée par la sous-couche, laissant ici et là des « embuts », c’est-à-dire des zones mates propres à certains pigments quand d’autres sont très brillantes. La palette ressort aussi beaucoup plus claire. On pourrait presque négliger cette couche, pour tout dire. C’est l’accumulation des couches et le temps d’absorption qui permettent de se rapprocher du résultat attendu. Plus les couches se superposent, plus il faut être attentif aux couleurs.


La pratique de la copie oblige systématiquement à faire des essais sur les couleurs obtenues, à être au plus près de la reproduction (à défaut de l’oeuvre originale). Dans les deux exemples qui suivent - la photo du musée (à gauche) et celle de la publication Lyons / O’Doherty (à droite), les tonalités de couleurs ne sont pas les mêmes..les jaunes ne sont pas les mêmes, les rouges non plus. Le noir s’est subsisté au vert dans l’image de droite, et le sol n’est plus vert pâle. L’exercice est donc vraiment difficile.  De fait, le jaune de l’éclairage a été difficile à trouver.



  1. La superposition des couches


Voici quelques étapes, avec des vues générales, en partant de la gauche vers la droite (ce que fait le droitier pour éviter de se tâcher sur la partie fraîchement peinte ) :


L’application des couleurs confronte le peintre à des choix : doit-on tout reproduire ? Peut-on reproduire exactement ? En travaillant quotidiennement au mm près, ce serait sans doute possible - on bascule dans la contrefaçon - mais très long, et au microscope, cela ne serait jamais exactement la même chose  (Explications sur le Blog : https://www.phi-artiste-peintre.com/post/pei)nture-copie-reconstructionpicturale-reconstitution-recréation-et-faux).


Pour franchir ces étapes, j’ai utilisé des reproductions en couleur et en noir et blanc sur papier, mais surtout un ordinateur.


La superposition des couches de couleur permet d’approcher le résultat attendu. Les zones bleues claires de la corniche sont progressivement recouvertes d’un mélange de vert émeraude et de bleu de Prusse. Quand on agrandit l’image, on mesure la place du bleu dans la peinture de Hopper, il est omniprésent (boutique, restaurant, costumes, etc.), mais il se perçoit peu de loin ou sur les photos publiées.

Le texte des Hopper parle surtout du vert « extérieur de la boutique vert foncé ». Il évoque la partie gauche de la peinture. La partie droite est décrite ainsi : « scène de nuit en intérieur vivement éclairée dans un restaurant bon marché. Eléments lumineux : comptoir en bois rouge cerise et dessus des tabourets de bars ; lumières se reflétant sur les cuves métalliques, dans le fond à droite. (…) ; à l’extérieur, trottoir vert pâle ; en face, vieilles maisons en briques, rouge un peu foncé. Enseigne sombre au-dessus du restaurant - cigare Phillies à 5 centimes, dessin de cigare. (…). Note : morceau de plafond éclairé à l’intérieur de la boutique contrastant avec l’obscurité de la rue, au bord de la partie supérieure de la vitrine ».



Phi-Artiste-peintre d'après Nighthawks, première couche de couleur
Première couche de couleurs à l'huile


Notre choix ici a été de ne pas assombrir à l’excès la peinture, mais de laisser apparentes les zones de lumières plus claires du restaurant (corniche et partie basse), de couleur vert-bleu, que l’on voit très nettement après agrandissement. Sur ce nouveau détail de l’oeuvre originale (ci-dessous) qui donne l’impression que la toile a été grattée, et que le trait était rapide, on distingue des corniches vertes, et un rehaut bleu léger sur la corniche plus large du bas.



Phi-artiste-Peintre d'après Nighthawks, dernière couche de couleur
Dernières couches de couleur - Phi-Artiste-Peintre


  1. Les portraits et les ustensiles

 

Le travail, dans son rapport à l’image, oblige à de constants allers-retours entre différentes échelles : la difficulté est bien de garder justes toutes les proportions du dessin ; la mise au carreau est une aide pour cela. L’agrandissement permet de comprendre l’assemblage des formes et des couleurs, leur superposition, mais ne s’appuyer que sur un agrandissement pour reproduire une forme conduit le plus souvent à l’hypertrophier. C’est assez fréquent quand on reproduit des visages par exemple. La réduction de l’image permet de saisir ce que l’oeil est capable de voir de loin, et donc de sélectionner les traits essentiels. Toutefois, sans l’observation de l’agrandissement, on en arrive vite à schématiser les traits et à ne plus reproduire correctement « l’esprit du portrait » saisi par le peintre ; il faut du bon matériel, des pinceaux très fins.


Ici par exemple, ce portrait a été difficile à faire :  le visage effacé trois fois, car hypertrophié trois fois. L’autre raison pour laquelle la restitution est difficile est liée au fait que le travail se fait à l’échelle 1/2 par rapport à celui de Hopper;



D'après Edward Hopper portrait d'homme par Phi-artiste-peintre
Portrait d'homme


Le visage de la femme présentait des difficultés similaires, voire pires : ce qui caractérise ce portrait, ce sont ses yeux charbonneux, finement rendus par Hopper, avec un trait noir légèrement triangulaire pour la pupille et les cils, les paupières suggérées par du fard plus clair, surmontées chacune d’un nouveau cerne noir, puis d’une couleur plus claire et enfin d’un trait fin et sombre pour les sourcils. A l’échelle un demi, le travail est long. A noter la finesse des traits du nez, de la bouche grande et charnue, du rendu de la chevelure, dans la peinture de Hopper.


Le texte manuscrit dit : « Femme vêtue d’une blouse rouge, cheveux bruns, en train de manger un sandwich » (dans lequel il y a visiblement du concombre !).


Quant au garçon blond, le dos courbé, il est précisé « qu’il est très séduisant (veste et casquette) derrière le comptoir ». Assurément cette remarque est de nature féminine, le texte écrit par Jo Hopper, que n’a pas censuré son époux qui les relisait consciencieusement.


Enfin, il reste une « autre silhouette sombre sinistre de dos, à gauche ». Voici les dessins et esquisses laissés par le peintre, montrant les personnages, leur posture. Ils sont utiles pour bien saisir la position des corps.  Toutefois, un doute subsiste, qui n’est pas franchement éclairci par la bibliographie,  même si les auteurs semblent globalement faire l’hypothèse de dessins réalisés a posteriori : il est indiqué « étude pour Nighthawks », a priori un travail préparatoire.…qui ne le serait pas. On observe aussi que les lignes de composition des corps ne sont pas tout à fait les mêmes sur les peintures. Le « beak »  fumant sa cigarette est plus trapu dans le dessin que sur la peinture. La présence des "becs" , en anglais les "beaks" comme Hopper l'a écrit lui-même dans la description,  renvoie aux "oiseaux de nuit" coiffés de chapeaux anguleux, l'air absent et perdu devant leurs tasses de café. Voilà ce qui est dit dans le texte à propos de l’homme assis à côté de la femme: "Man nighthawk (beak) in dark suit, steelgrey hat, black band, blue shirt (clean), holding cigarette".


En tant que copiste j'ai trouvé que le travail de restitution des portraits était particulièrement difficile, surtout à une échelle plus petite que celle de l'oeuvre originale (84 x 152 cm).


Nous avons terminé la réalisation de cette copie par le travail sur les portraits. Après correction des derniers détails, nous avons appliqué un vernis d’attente (vernis définitif  à faire dans un an).


Toutes ces étapes ont nécessité 65 h de travail.


Phi-Artiste-Peintre, Le 3 Février 2025








  1. Bibliographie indicative


  • G. Levin, Edward Hopper: an intimate biography, New York, 1995.

  • Richard R. Brettell, Eric Darragon , Edward Hopper, Les Années parisiennes, 1906-1910, 2004.

  • Staying Up Much Too Late: Edward Hopper's Nighthawks And the Dark Side of the American Psyche. Theisen, Gordon and Edward Hopper: Edité par Thomas Dunne Books, 2006

  • Gerry Souter, Edward Hopper, Lumière et obscurité, Ed. Parkstone international, 2012

  • Rolf Gunter Renner, Edward Hopper, 1882-1967, Transformation of the Real, 2015

  • Louis Shadwick, « The origins of Edward’s Hopper early oil painting », Burlington Magazine, 162, October 2020

  • Erika Doss (Auteur), David Lubin (Auteur), Katharina Rüppell (Auteur), Ulf Küster  (dir.), Edward Hopper: A Fresh Look At Landscape, Fondation Beyeler Riehen / Basel, 2020.

  • Anthony Miglieri, Night windows: portraits of loneliness in the frames of Edward Hopper and Film noir, Mémoire universitaire, Ball State University., Muncie, Indiana, 2019.

  • Kim CONATY et alii, Edward Hopper’s New York, Exhibition Schedule: Whitney Museum of American Art, New York  (October 19, 2022–March 5, 2023),  Yale Univ. Press, 2022.

  • LYONS Deborah, O’DOHERTY Brian, Edward Hopper, de l’oeuvre au croquis, Traducteurs : Caroline Guilleminot, Caroline Guilleminot (traductrice).), Zahia Hafs, Ed Prisma, Paris, 2022.

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